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Pour Pinar Selek

Rose-Marie Lagrave

Après de multiples et ubuesques revirements judiciaires, condamnations et emprisonnements, Pinar Selek, sociologue, s’est vue notifier le 6 janvier 2023 sa comparution devant le Tribunal Criminel d’Istanbul, assortie d’un mandat d’arrêt international demandant son emprisonnement immédiat.


L’(i)njustice de son pays, la Turquie, poursuit ses basses œuvres, en haussant d’un cran l’escalade de la répression. Une solidarité internationale s’organise, à laquelle le rappel de ses prises de positions, en France, entend modestement contribuer. L’intitulé de sa thèse de doctorat en sciences politiques, soutenue à l’Université de Strasbourg le 7 mai 2014, parle de lui-même : « Les possibilités et les effets de convergences des mouvements contestataires, sous la répression. Les mobilisations au nom de groupes sociaux opprimés sur la base du genre, de l'orientation sexuelle ou de l'appartenance ethnique, en Turquie ». Contestation, oppression, intersectionnalité, autant de preuves à charge en Turquie comme en France. Qui se souvient en effet de la lettre de Pinar Selek à la Ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Dominique Vidal, emboitant le pas de son collègue Jean-Michel Blanquer ? Dans le JDD du 25 octobre 2020 , ce dernier écrivait : « Il y a un combat à mener contre une matrice intellectuelle venue des universités américaines et des thèses intersectionnelles, qui veulent essentialiser les communautés et les identités, aux antipodes de notre modèle républicain qui, lui, postule l'égalité entre les êtres humains, indépendamment de leurs caractéristiques d'origine, de sexe, de religion. C'est le terreau d'une fragmentation de notre société et d'une vision du monde qui converge avec les intérêts des islamistes. Cette réalité a gangrené notamment une partie non négligeable des sciences sociales françaises ».


À lire cette phrase, on peut se demander si elle n’a pas été écrite par un Ministre turc, tant elle disqualifie le doctorat de Pinar Selek. La réponse ne se fait pas attendre. Bénéficiaire du Programme national d’Aide à l’Accueil en Urgence des Scientifiques en Exil, Pinar Selek écrit le 21 février 2021 cette lettre bien envoyée : « Depuis vos dernières déclarations sur "l’islamo-gauchisme", je suis dans un cauchemar terrible. Votre discours réveille tout ce que j’ai vécu et tout ce que mes collègues en Turquie sont en train de vivre, sous l'islamo-fascisme. Je pense que tout.es les scientifiques exilé.es qui sont aujourd’hui accueilli.es par le Programme PAUSE sont entrés dans le même cauchemar, car elles-ils savent aussi très bien comment les libertés académiques se rétrécissent quand les pouvoirs politiques interviennent dans le champ scientifique avec la justification de la lutte contre le terrorisme. En général, c’est comme ça que ça se passe. En Turquie, en Chine, en Iran. Et aujourd’hui en France ».


Face à ce lancinant cauchemar, seule une mobilisation internationale d’envergure pourrait faire reculer cette parodie de justice.

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