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L'éducation populaire en crise

Christian de Montlibert, sociologue, Revue des sciences sociales, 2024, n°71, pp.134-141. https://doi.org/10.4000/11uxw.


Avant de chercher les signes de la crise que l’éducation populaire traverserait et les raisons qui y conduiraient, encore faut-il s’entendre sur ce qu’on nomme éducation populaire. En effet tout montre que sa définition a toujours fait débat. Il est vrai que ce qu’on nomme éducation populaire n’est qu’une orientation parmi d’autres au sein du vaste processus d’éducation du peuple que les philosophes du XVIIIe, Diderot, Voltaire, Condorcet, entre autres, ont tant défendu.


En simplifiant on pourrait voir le XIXe siècle comme la période où se réalise cette idée et où se développent différents courants qui s’efforcent de la mettre en œuvre au mieux de leurs intérêts particuliers. D’un côté des industriels pour qui l’éducation du peuple est avant tout la formation d’une force de travail qualifiée pour encadrer les immigrés venant des campagnes françaises, hommes et femmes, d’une part et d’autre part pour entretenir les machines qui prennent de plus en plus de place dans les ateliers. D’un autre côté les réformateurs éclairés et les républicains modérés sont actifs pour développer une éducation du peuple signifiant avant tout la formation de citoyens[2]. On trouve ensuite le courant philanthropique qui, cherchant à réduire les effets de la misère, voit dans l’éducation du peuple la possibilité enserrer la pauvreté dans un filet d’assistance[3]. L’Association Internationale des travailleurs, bien que divisée entre partisans de Karl Marx et partisans de Bakounine, insère l’éducation du peuple dans un mouvement général d’émancipation du prolétariat[4]. Enfin des philanthropes laïcs, des réformateurs sociaux, appartenant souvent à la franc-maçonnerie, proches du socialisme, mais développant une adhésion mesurée aux idées débattues durant la Commune, appuieront le développement d’une éducation populaire dont la Ligue de l’enseignement créée par Jean Macé[5] et les universités populaires, à partir de 1896-1897, influencées par le solidarisme de Léon Bourgeois, sont les pièces emblématiques.


Reste que, aujourd’hui, se revendiquent de l’éducation populaire différentes pratiques soutenues par des représentations qui visent, soit la diffusion des savoirs (les universités populaires par exemple[6]), soit la participation à des débats suscités le plus souvent par le récit d’expériences vécues[7], soit l’apprentissage de techniques relevant de pratiques quotidiennes et de l’artisanat[8], soit l’adhésion à une visée politique[9],soit les problèmes des immigrés, hommes et femmes (visant principalement l’apprentissage du français, les rapports à la religion et à la laïcité, la question des origines et la définition de l’identité ) [10].


La question de la légitimité et de l’illégitimité ou plus précisément de la dignité et de l’indignité des pratiques dites culturelles est sous jacente aux débats autour des significations de l’éducation populaire. Historiquement d’ailleurs elle a toujours été définie, implicitement ou explicitement, en fonction des rapports de classe soit comme processus de diffusion des goûts culturels légitimes soit au contraire comme opposition aux pratiques culturelles des classes dominantes[11]. Aussi cherche-t-elle à diffuser les savoirs légitimes à des catégories de population qui en sont exclues, ou à effacer les stigmates de l’indignité en valorisant des pratiques populaires ou refuse-t-elle ces cadres de pensée en s’attachant aux expériences vécues des participants. Mais quelles que soient les orientations, tout semble montrer que le type de rapports de force entre les groupes sociaux détermine la probabilité de réalisation d’une éducation populaire. 


Les signes d’une crise de l’éducation populaire


 Reste que l’éducation populaire éprouve actuellement bien des difficultés : le public attendu n’est pas toujours là, les animateurs, intervenants, bénévoles se font plus rares, les organismes financeurs imposent des normes comptables rigides qui freinent l’action, le doute s’est installé sur les finalités, etc.. Les modes de fonctionnement des associations d’éducation populaire sont de plus en plus exposés à une logique managériale et à des contraintes de gestion à un point tel que les questions des financements et des subventions conditionnent les relations avec les collectivités territoriales et les pouvoirs publics. Les projets, dans ces conditions, risquent d’être plus souvent élaborés pour répondre aux critères décidés par les pouvoirs publics ou bien aux exigences d’un marché que pour s’ajuster aux attentes exprimées (ou supposées) des participants ou aux intentions des animateurs.


Cette crise n’est pourtant pas une nouveauté : vers 1971-1973 l’éducation populaire a connu une période de désillusion qui lui a été dommageable. Les accords de Grenelle, après la longue grève de 1969 qui a réuni jusqu’à 11 millions de salariés, ont reconnu le droit à la formation continue. Les agents de l’éducation populaire aspiraient à devenir une composante de l’éducation permanente. Mais la loi de 1971 ruinera ces espoirs en soumettant l’éducation permanente aux desiderata des entreprises[12]. Pour René Haby, ministre de l’éducation de Chirac, l’utopie d’une éducation permanente prolongeant l’école unique était un « fantasme » ! Seule une formation professionnelle, inculquant en sus des « savoir-faire » un « savoir –être » bien adapté à la nouvelle vulgate entrepreneuriale, verrait le jour. C’est dire que l’éducation populaire conçue comme une émancipation était abandonnée au profit d’une formation adaptée aux nécessités des postes de travail. Sachant que toute pratique sociale est doublement déterminée par l’organisation matérielle et symbolique des rapports sociaux et par les caractéristiques sociales des agents qui l’accomplissent[13] on ne peut que constater que  les transformations institutionnelles ont, depuis, fortement augmenté et suscitent la crise qu’éprouve l’éducation populaire.


 I- Les facteurs organisationnels


Une nouvelle gouvernance inspirée par le « New Public Management ».

Aujourd’hui, les politiques de l’État, soumis à l’emprise d’un néolibéralisme peuvent, schématiquement, se ramener à trois : déréglementation de la circulation des marchandises, des services, des capitaux et des forces de travail ; privatisation des entreprises nationalisées (des banques aux entreprises industrielles) et enfin financiarisation de la dette publique[14]. La mise en œuvre de ces principes a entrainé un bouleversement de la gestion des crédits d’État qui se répercute sur le fonctionnement de toutes les associations qui demandent des subventions.


 Premièrement la loi de modernisation de l’action publique (MAP) qui améliore la « loi organique relative aux lois de finance » (LOLF) impose, dans tous les services publics, des impératifs comptables (calcul des coûts de chaque activité et rationalisation) et une culture de la performance. Un de ses effets immédiats a été la baisse des subventions pour les associations d’animation (de 26% en 2012 à 19% en 2014) alors que les financements augmentent pour les associations sportives (de 30 à 36%) et culturelles (de 18 à 21%)[15]. Ces variations correspondent au changement des sources de financement : l’État et les communes diminuent leur participation alors que les ressources privées émanant de sociétés mécènes et des particuliers augmentent[16]. De fait l’État a modifié sa stratégie : l’État et les instances régionales, départementales et communales peuvent plus aisément exercer un contrôle soumettant les pratiques associatives à leurs finalités. 


 Deuxièmement l’application à la France de « la directive services », « dite Bolkestein », qui libéralise le marché intérieur des services et prône la concurrence dans une acception large de l’activité économique identifiée au marché »[17] a entrainé la mise en œuvre du principe qui veut que toutes les activités qui peuvent être prises en charge par un marché remplacent les services publics, modifie aussi le fonctionnement des associations. Les pouvoirs publics invitent les associations à se tourner vers la vente de services comme alternative à leur soutien. Cette évolution conduit même des responsables d’associations de travail social à penser que leur avenir dépend de plus en plus du recours à « des méthodes lucratives », au grand désespoir des animateurs bénévoles les plus militants.


Troisièmement, la raréfaction des services publics ou plutôt leur « compression », proposée par le travail des consultants des cabinets spécialisés dans le management, a été décidée par la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) en Juin 2007[18]. Cette « Révision » impose « une séparation entre les fonctions de stratégie, de pilotage et de contrôle d’un côté, et les fonctions opérationnelles de l’autre côté ; un découpage des grandes bureaucraties en unités administratives autonomes chargées d’une politique publique, un renforcement de l’autonomie des gestionnaires responsables de la mise en œuvre d’une politique à laquelle sont fixés des objectifs de résultats »[19] . Elle fait de l’efficience le critère principal des évaluations imposées : rationalisation, performance deviennent ainsi des objectifs qui contraignent les pratiques à viser la compétitivité. « Être compétitif » renforce un esprit de concurrence entre les associations du travail social puisque chacune se doit d’être plus performante que l’autre. Reste que croire que chaque compétiteur est à égalité avec l’autre – ce qui est l’idéologie démocratique du marché - est une illusion car certains entrent sur le marché avec plus d’avantages (relations politiques, capacités financières, capital culturel des dirigeants, etc.). Ce faisant, cette idéologie de l’égalité des compétiteurs contribue à légitimer, en décernant un label d’excellence, des inégalités structurelles.


 Quatrièmement, la transformation néolibérale conduit aussi au démantèlement de plus en plus important des politiques culturelles développées par la IV République : Le préambule de la Constitution consacrait en effet « le droit à la culture ». Nombre d’intellectuels ayant rallié un parti communiste puissant ou se considérant comme des « compagnons de route » voulaient contribuer à l’éducation populaire. L’État, à ce moment, favorisait la culture populaire avec la création de centres d’art dramatique qui deviendront des théâtres populaires dont le TNP de Jean Vilar est l’exemple le plus significatif. Aujourd’hui l’État est beaucoup plus guidé par la rentabilité financière et le management que par l’ambition de diffuser la culture. De toute évidence l’utopie lancée au milieu du XXe siècle, institutionnalisée au moment du Front Populaire de 1936 et surtout au moment de l’application en 1945-1946 du programme du Conseil National de la Resistance, est morte. Après que la politique culturelle qu’elle soutenait ait voulu permette au public populaire d’accéder aux grandes œuvres de la culture, puis après en avoir rabattu et développé l’animation culturelle et la fête, il faut maintenant que la culture cesse de peser sur le budget de l’État ou, mieux encore, qu’elle soit rentable[20]. « Être profitable ou ne pas être » telle est la question posée à la culture !


 Dans la perspective du néolibéralisme, et c’est là le cinquième facteur, les « compétences » remplacent la culture. Les adeptes du néolibéralisme, persuadés que « le véritable instrument de domination des âmes c’était l’éducation de la jeunesse » [21], poursuivent aussi l’objectif de faire apparaître un « homme nouveau » bien adapté aux contraintes de la société contemporaine. Le patronat réclame que l’enseignement tienne enfin compte des « demandes de l’économie » et vilipende les enseignants « complètement éloignés des réalités » de l’entreprise[22]. En effet, les possesseurs de titres scolaires peuvent prétendre à une qualification justifiée par leur savoir. La reconnaissance des diplômes dans les conventions collectives donne un pouvoir au système éducatif, une protection aux salariés et à leurs représentants syndicaux, que les dirigeants d’entreprise ne peuvent accepter car c’est mettre radicalement en cause l’organisation du travail sur laquelle repose leur domination[23]. Prendre la notion de « compétence » comme base de nouvelles propositions apparaît aux organisations patronales comme une solution. Les évaluations des compétences remplaceraient la qualification certifiée par un diplôme[24]. Le patronat a trouvé là le moyen de devancer la revendication syndicale. Ce qui lui permet espérer transformer le système éducatif à son avantage[25]. « France Compétences », l’organisme d’État chargé de réguler l’ensemble des systèmes existants, cherche, par exemple, à imposer deux principes : individualiser et s’adapter aux demandes de l’économie[26].


 Enfin le sixième facteur relève de l’importance que le capitalisme néolibéral accorde à la commercialisation. Loin des documentaires éducatifs conçus par Jean Painlevé par exemple, le savoir et les différentes formes de création sont à vendre. Le développement des médias et de la numérisation y contribue en proposant des sujets les plus variés qui sont soumis à la concurrence des émissions télévisuelles de variété remplaçant l’acquisition de connaissances par des bribes décontextualisées. Mais, plus encore, le développement d’une « culture jeune », entièrement fabriquée par des sociétés commerciales, (soutenues en arrière plan par des « majors » de la culture comme Warner, Vivendi, Bertelsmann, Walt Disney, Sony, etc.), qui proposent des œuvres, mettent en scène des artistes, organisent des évènements, diffusent des informations sur la vie privée des vedettes, vantent les réussites en jouant sur les audiences, détruit les possibilités d’autres pratiques culturelles. Les processus de concentration qui sont en cours actuellement dans l’édition et dans la presse écrite et télévisuelle – alors que le phénomène est manifeste dans les « data communication network » où la propriété est individualisée – ne font qu’amplifier le désinvestissement sur la culture populaire.

 

II- Les facteurs liés aux situations des publics potentiels


 On comprend que ces transformations considérables ne soient pas sans effet sur des associations qui sont plus ou moins directement incitées à se conformer aux nouvelles exigences. Pourtant si la crise de l’éducation populaire est, en quelque sorte, structurelle, les facteurs organisationnels ne sont pas les seuls à intervenir. D’autres dimensions, dépendantes cette fois des situations des publics potentiels et des intentions des intervenants[27] exercent une action déstabilisatrice.


Un durcissement des conditions d’existence des publics potentiels de l’éducation populaire 

Sous–jacent à la démolition programmée de l’éducation populaire se cache une érosion des bases anthropologiques d’une culture populaire qui, dans les banlieues ouvrières, était faite de gouaille irrévérencieuse à l’égard des pouvoirs politiques et religieux, de mépris hostile aux pouvoirs économiques, d’une relative licence des mœurs, d’une solidarité de voisinage dans les épreuves de la vie, de contestations des pratiques dominantes que les femmes des classes populaires avaient initiées bien avant que les femmes de la haute bourgeoisie ne deviennent féministes. Les conditions d’existence actuelles des classes populaires contribuent fortement à cette désagrégation.


La paupérisation. En 2021, 5,3 millions, hommes et femmes, vivent dans la pauvreté. Les 10 % des plus pauvres vivent avec moins de 715 euros par mois. Le taux de pauvreté (la part de ceux qui vivent avec moins de 885€ par mois) est passé de 7.7% en 2009 à 8,2% en 2019, soit 500.000 personnes supplémentaires. Les immigrés, les jeunes, les travailleurs non qualifiés dont les femmes ayant une faible qualification et souvent en situation de monoparentalité, etc. connaissent une dégradation continue de leur situation. Dans ces conditions on constate une augmentation des situations de surendettement difficilement vécues qui profitent d’ailleurs aux organismes financiers qui ont empochés 6,5 Milliards d’euros en 2017 pour frais d’incidents. Il est aussi vrai que le revenu disponible pour une grande partie des salariés diminue à la suite des prélèvements obligatoires et de la hausse des coûts des marchandises : entre 1995 et 2010 le salaire nominal a augmenté moins vite pour toutes les catégories de salariés que la hausse des prix (source INSEE), et le phénomène s’est accentué depuis 2018. L’augmentation de la pauvreté (qui n’est pas sans rapport avec la croissance des inégalités dont la hausse du patrimoine des très riches) qui complique la vie quotidienne affaiblit vite l’intérêt pour une éducation populaire.


La pénibilité du travail. Les contraintes physiologiques imposées par les situations de travail peuvent plus ou moins inhiber les activités intellectuelles de connaissance. Les usures des corps entrainés par le chômage et par une augmentation des contraintes du travail dont témoignent les 540 000 accidents du travail et les 40 000 maladies professionnelles ayant causé le décès de 550 personnes[28] le montre bien. Dans tous les secteurs d’activité et à tous les échelons les contraintes des situations de travail ont considérablement augmenté : D’après les enquêtes de la DARES le travail répétitif chez les cadres est passé de 2,5 % à 11%, pour les professions intermédiaires de 7,5 à 21%, pour les employés de 18,3% à 53, %, et de 34,7% à 64,3 pour les ouvriers. Le contrôle hiérarchique permanent a augmenté dans les mêmes proportions de 17,4 à 31,5 pour l’ensemble des salariés (plus d’ailleurs pour les femmes que pour les hommes). L’exigence de réponse immédiate et de soumission à une cadence augmente à tous les niveaux, l’impossibilité technique de quitter le travail des yeux conséquence de la robotisation et de la numérisation s’accroit spectaculairement de 6% à 26 pour les cadres, de 9,8 à 37,3 pour les professions intermédiaires, de 10,8 à 37,1 pour les employés et de 26 à 54 pour les ouvriers[29]. Dans ces conditions 61% des aides soignantes, 79% des ouvriers du bâtiment, 80% des ouvriers de l’automobile souffrent de la pénibilité.


Le chômage. La désindustrialisation et la concentration (rachat d’entreprises par de plus puissantes) qui entraînent la fermeture d’établissements, les transformations techniques qui exigent une transformation des qualifications, suscitent en effet un chômage qui ne diminue pas dans la mesure où de nouvelles populations plus ou moins paupérisées se portent sur le marché du travail. Ce chômage désorganise et provoque la vulnérabilité et le désarroi, l’isolement et la désolidarisation. Il suscite des troubles somatiques qui accroissent considérablement la probabilité de décès. Le chômage discrédite, isole, démoralise et démobilise[30].


 Le logement Les cités populaires sont, plus que d’autres quartiers, pénalisées par la présence d’éléments gênants. De multiples indices témoignent à leur détriment. L’intensité des bruits ambiants dus au passage proche d’autoroutes, de routes rapides, de voies ferrées, de lignes aériennes, mais aussi l’emplacement des immeubles faisant caisse de résonnance, une moindre présence de parcs et jardins que dans d’autres quartiers, les nuisances électromagnétiques avec le survol de ligne de haute tension, usent insidieusement les corps et les esprits en ne permettant guère un repos salvateur, d’autant plus qu’ à l’intérieur des appartements et entre les appartements l’isolation phonique laisse à désirer.

Le surpeuplement des logements complique encore la vie quotidienne. Malgré les politiques menées par de nombreuses villes qui ont entrainé une diminution du surpeuplement, il demeure pour environ 15 à 18 % des ménages français. Comme les ménages les plus pauvres, les ménages immigrés, les familles monoparentales ayant de nombreux enfants sont amenés - du fait même de la hausse de l’immobilier et des changements de politique qui ont conduit à abandonner la construction d’un large habitat social locatif au profit de la propriété individuelle - à se loger dans des quartiers populaires où subsistent encore des HLM, la proportion de logements surpeuplés y augmente mécaniquement pour atteindre parfois plus de 30%. Le confinement devient difficile a vivre ; parfois parents, grand parent, enfants d’âges différents doivent coexister. Les activités des uns et des autres étant très différentes, la possibilité de repos devient un luxe inaccessible[31].


Tous ces éléments prédisposent d’autant moins à une participation active à une éducation populaire que celle-ci se consacre à la diffusion d’une culture légitime (lectures des grands auteurs, écoute de musique classique, fréquentation d’expositions de peinture etc.) très éloignée des conditions d’existence des classes populaires.


Rêver de la réussite sociale

D’un autre côté les fractions supérieures des classes populaires et les fractions dominées des classes moyennes, qui oscillent entre une contestation des formes de dominations sociales et une aspiration a la réussite sociale, se trouvent en quelque sorte mobilisées par les transformations du rapport à l’école

La primauté de l’économie capitaliste, en élargissant l’accès à l’éducation scolaire, a contribué à transformer les aspirations culturelles d’une grande partie des classes sociales dominées. Ainsi, aujourd’hui, les familles qualifiées des classes populaires, aspirent aux études longues pour leurs enfants. Dans les années 2000 déjà, 9 familles ouvrières sur 10 souhaitaient que leur enfant atteigne le baccalauréat. En 2010 58% des classes populaires souhaitent que leurs enfants poursuivent leurs études au delà de 20 ans[32]. Tout semble montrer que la « culture anti-école » qui a si longtemps caractérisée la culture ouvrière s’efface au fur et à mesure que les impératifs proprement utilitaristes de l’éducation s’imposent à tous, ou, pour le dire autrement lorsque la fonction de placement sur le marché du travail prévaut sur toutes les autres fonctions.


On comprend que vouloir que son enfant s’intègre au mieux dans la structure sociale, en acquérant non seulement les connaissances et les manières de faire des emplois visés mais aussi les « savoir–être » spécifiques des classes moyennes et supérieures, entraine pour les parents, s’ils demeurent dans une opposition de classe ou, au moins dans une « culture anti- école », un risque de « dissonance cognitive »[33] important et psycho-somatiquement dommageable qui ne peut être réduit qu’en se réfugiant dans une abstention ou même une opposition aux mobilisations critiques que semble diffuser une éducation populaire plus politisée. Plus encore « L’État thérapeutique », comme l’a si justement dénommé Christopher Lash[34] (celui des médecins, des éducateurs, des psychologues, des juges, des psychanalystes, des conseillers conjugaux etc. des techniciens des relations en somme), en dépossédant les classes populaires et moyennes (dont, surtout, les femmes), de ses savoirs ancestraux et de ses pouvoirs, (particulièrement sur les enfants), a permis l’installation d’un contrôle diffus qui dégrade et affaiblit les possibilités d’une éducation critique.

 

III- Des facteurs liés aux animateurs, animatrices et bénévoles de l’éducation populaire

Parce que l’ordre social n’est pas exclusivement l’expression de rapports de force économiques et politiques mais aussi un ordre symbolique fait de signes, de mots, de mots d’ordre dans lequel la contribution des intellectuels (hommes et femmes) à la conservation ou à la subversion de cet ordre est décisive puisqu’ils et elles conçoivent les moyens de décrire la réalité et de définir les possibles qui s’y trouvent contenus, on comprend que, dans les périodes où les classes populaires sont en position de force (comme cela a été le cas après 1945 où la bourgeoisie, déconsidérée pour sa collaboration économique avec l’occupant nazi, faisait profil bas), l’éducation populaire ait été florissante et que des artistes et des intellectuels aient été enclins à exprimer les significations propres à la culture de ces classes. Les animateurs, animatrices et intervenants, intervenantes reproduisaient sans hésitations les significations des groupes qui étaient censés leur déléguer une autorité pour ce faire. Dans ces circonstances, les interrogations et les doutes sur les significations de la culture populaire et de l’éducation populaire ne se posaient guère.


 On comprend aussi que dans les périodes où les rapports de force ne sont pas en faveur des classes dominées, où ces classes sont fragmentées, dressées les unes contre les autres au nom de la concurrence, l’éducation populaire devienne subordonnée à la culture dominante. Les significations des cultures populaires sont plus ou moins délaissées par les intellectuels et les artistes et parfois stigmatisées. De fait, dans cette situation, où des classes populaires affaiblies ne peuvent plus et ne savent plus définir les significations qui leur semblent principielles et n’ont plus la force de déléguer une autorité pédagogique à l’éducation populaire, le capitalisme néolibéral peut aisément diffuser les présupposés anthropologiques sur lesquels il repose à travers des productions théâtrales, littéraires , cinématographiques, musicales etc. qui les expriment, laissant les animateurs, animatrices, intervenants, intervenantes démunis ou confrontés à des contradictions multiples. Le capitalisme avancé fournit, en effet, un système conséquent de schèmes de perception, de pensée, d’appréciations et d’action. Les idées de la classe dominante devenant les idées dominantes, il impose son idéologie comme idéologie dominante et, dès lors, influence nombre de productions culturelles[35]. D’abord il met au premier plan la performance et la compétitivité ensuite il met en cause les collectifs dont il dénonce la bureaucratisation, les visions du monde trop conflictuelles, l’inadaptation aux exigences de la modernité et préfère leur substituer des « communautés d’intérêts » où priment les rapports de communication. Finalement les impositions culturelles des actions pédagogiques dominantes - en diffusant la culture dominante - qu’elle soit culture consacrée ou culture d’avant-garde - en discréditant la culture populaire,(ou s’en amusant), -qu’elle soit culture politique ou culture de traditions de classe - ou en la stigmatisant comme indigne pour mieux l’exclure – contribuent à la reproduction des rapports de force entre les classes et en fin de compte à la reproduction de la domination des classes dominantes[36].

 

On comprend dans ces conditions que des responsables d’association (hommes et femmes) et des animateurs, animatrices, n’hésitent pas à affirmer que les associations du travail social et d’éducation populaire –même si elles se doivent de respecter des règles de gestion – « ne sont pas une entreprise » et qu’ils déclarent qu’« il est essentiel de souligner que la compétitivité ne peut pas prétendre à gouverner la vie économique, sociale et politique. Elle ne peut pas être la valeur de base d’un monde commun. Le but ultime de l’économie n'est pas de permettre aux uns de gagner ou de battre les autres, il est de promouvoir les meilleures conditions de vie matérielles et immatérielles de tous les membres d'une communauté de citoyens » [37] témoignant par là de leur grande insatisfaction. Cette tension est sans doute d’autant plus ressentie que nombre de travailleurs de l’animation, issus des classes moyennes, sont comme tiraillés entre leur contrat de travail de droit privé avec les risques de précarité qui l’accompagnent et leur engagement (qui les place parfois en porte–à-faux par rapport à leur classe) dans une activité pensée comme un service public au service d’une « cause »[38]. On comprend aussi que d’autres intervenants, intervenantes vivent dans l’illusion de croire que leurs pensées et leurs pratiques se développent en toute liberté, alors les contenus qu’ils choisissent d’enseigner et les méthodes pédagogiques qu’ils ou elles adoptent pour y parvenir rencontrent les limites que leur impose la culture dominante. Dans ces conditions, les animateurs, animatrices des associations d’éducation populaire sont partagées entre ceux et celles qui ne savent plus quelles significations proposer, entre ceux et celles qui souhaitent donner aux classes populaires l’accès à la culture légitime qui, contre leur gré d’ailleurs, ne peut être que celle des classes dominantes , entre ceux et celles qui, à l’opposé, « sacralisent » une culture populaire définie comme culture de traditions et, enfin, entre ceux et celles qui - contre les effets de la culture dominante qui les entoure et structure les modes de vie et de pensée des participants potentiels - tentent de développer une culture de résistance aux dominations.


Conclusion

Seule sans doute une éducation populaire qui montrerait qu’aucune domination n’est naturelle, qui travaillerait à défaire « la méconnaissance des mécanismes qui fondent » le pouvoir [39], qui critiqueraient les représentations qui veulent que les classes populaires soient « dangereuses », « incontrôlables », manipulées par des « agitateurs » ou entrainées par des « casseurs », qui soulignerait au contraire les sociabilités de voisinage, les pratiques festives, les solidarités des lieux de travail qui témoignent d’une créativité collective populaire, qui en reviendrait aux faits historiques et économiques pout traiter de l’immigration , qui aborderait avec un regard critique la construction des catégories administratives qui produisent, par exemple, des « sans papiers », qui saurait mettre en cause tous les porteurs de discours qui imposent les idées néolibérales comme si elles étaient naturelles, qui saurait en somme utiliser aussi bien les ressources des sciences sociales que les ressources des productions littéraires, théâtrales, cinématographiques, etc. qui, avec leurs moyens spécifiques, rompent avec la culture dominante, pourrait, sans pour autant exprimer directement une opposition politique, contribuer à la libération des aliénations.


Parce les écarts entre les schèmes de pensée qui structurent les contenus et les manières de faire des intervenants et ceux qui structurent les contenus et les manières d’être de fractions des classes populaires s’avèrent déterminants de l’attrait qu’une initiative d’éducation peut susciter, une éducation populaire, comme celle qui est esquissée ci-dessus, créerait une proximité culturelle entre les intérêts des participants, participantes et ce qui est diffusé ou, plus précisément, ferait en sorte que les principes qui régissent les représentations et la pensée des classes populaires apparaissent comme dignes d’être pris en considération.


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[2] A un moment où le pourcentage d’illettrés atteignait les 33%, induisant, de fait, une coupure radicale au sein de la population, tout montre que les objectifs étaient, d’abord de contribuer à l’homogénéisation cognitive (que tous les citoyens, citoyennes sachent au moins lire, écrire et compter), ensuite de faire en sorte que s’intériorisent des valeurs communes plus ou moins liées, selon les conjonctures politiques, à l’exercice du droit de vote.

[3] Les femmes sont souvent présentes dans l’organisation des activités : Caroline Coulomb, Sarah Monod, Georges Sand en sont de bons exemples. Vergnioux Alain, George Sand Leroux, Nadaud, Perdiguier, et l’éducation populaire. Limoges, Lambert-Lucas, 2014, 122 p.

[4] En France, les premières initiatives, adossées aux efforts des bibliothèques populaires et des journaux ouvriers pour une éducation du peuple, sont du fait d’ouvrières autodidactes comme Nathalie Le Mel, ou d’ouvriers comme Agricol Perdiguier, Martin Nadaud ou Pierre Leroux[4]. Des associations diverses sont créées: l’association pour l’instruction gratuite du peuple, fondée par Cabet, l’association de la rue de petits –pères où enseignait le fouriériste Jules Lechevallier ; bientôt l’association internationale des travailleurs. Marie Desraines, Louise Michel, Fernand Pelloutier, Eugène Varlin, entre autres, insisteront sur le militantisme politique. Aubrun Dominique, Comment Louise Michel est devenue Louise Michel ? In Bréchemier Dominique et Turpin –Laval Nicole, (dir.), De George Sand à Louise Michel. Combats politiques littéraires et féministes 1815 1870, Paris, l’Harmattan, 2017, 236 P., pp.43-61. 

[5] Nombre de militants dont Raspail, Joigneaux, Bastelica à Marseille, y participent activement. La question de l’éducation des femmes n’est pas ignorée et entraine la publication d’essais des militantes féministes. Duveau Georges, La pensée ouvrière sur l’éducation pendant la Seconde République et le Second Empire, Paris, Editions Domat Montchrestien, 1947, 329 p., Avant-propos de Ernest Labrousse, Georges Bourgin, Edouard Dolléans.

[6] Le courant des universités populaires, par exemple est ancien. On sait qu’il se développe avec l’affaire Dreyfus, qu’il a un succès considérable au début du XXe siècle, suscitant la participation et les interrogations d’intellectuels de renom dont Péguy, puis qu’il connait un déclin pour renaître après la Seconde Guerre mondiale et prospérer vers 1980 (l’Université populaire de Mulhouse organise en 1982 plus de 250 activités regroupant plus de 8000 participants). Aujourd’hui ces universités populaires sont 80 environ à faire partie de l’Association des Universités Populaires de France (AUPF). Richez J.Cl., Les universités populaires en France, Un état des lieux, Paris, INJEP. 2018.

[7] Le courant de l’animation est né au moment du Front Populaire avec les Centres d’Entrainement aux Méthodes d’Éducation Active (CEMEA). Cette idée de former des animateurs est paradoxalement renforcée durant le régime de l’ « État Français » à Uriage, pour être arrêtée, en 1942, pour « déviation idéologique ». L’expérience de formation des animateurs reprendra à la Libération au sein des CREPS, Centres Régionaux d’Éducation Populaire et des Sports. Cette période sera celle des « stages » centrées sur des techniques de création ce qui permet d’éviter des confrontations idéologiques. La professionnalisation de l’animation voulue par l’État (avec la création du BAFA et du DUT carrières sociales et animation) modifie les orientations renforçant un certain contrôle. Besse L., Chateigner F., Ihaddadene F., L’éducation populaire, Savoirs, 2016/3, n° 42, pp.11-42.

[8]  L apprentissage ou le perfectionnement autour de la cuisine, du tricot et autres activités d’aiguille, de l’entretien du potager, de la pêche, de la cueillette etc. mais aussi de la poterie, du tissage etc. sont proposés par des associations qui définissent leurs pratiques comme éducation populaire.

[9] Le courant politique, comme « lieu de résistance de classe et d’éducation politique », très puissant au XIX e siècle, est réapparu au moment du Front Populaire. A ce moment la CGT, par exemple, met en place des Instituts d’éducation ouvrière et des Collèges du travail. L’enseignement vise à développer l’esprit critique et refuse aussi bien « l’entassement des connaissances » que « l’héritage d’une culture bourgeoise ». Lefranc G., La CGT et l éducation ouvrière en France, Revue internationale du travail, 1938. 1968 verra le réveil de ce courant critique dont l’Université de Vincennes est la réalisation la plus aboutie. Plus tard ADT quart monde développera des ateliers d’éducation pour les plus démunis alors qu’ATTAC mettra en place un modèle, repris par la suite, de formation politique critique. 

[10] En la matière Abdelmalek Sayad est le représentant d’une pensée qui privilégie la langue française opposée aux enseignements de la langue et de la culture des pays d’origine (ELCO) qui risquent d’enfermer les apprenants dans une singularité particulière celle de la double absence (ni d’ici ni de là-bas). Voir Sayad A., l’Ecole et les enfants de l’immigration, Paris, Seuil, 2014. Sur le fait religieux les positions de Sayad - affirmant que l’essentiel est l’acquisition d’une autonomie de pensée- tranchent aussi avec nombre de pratiques plus sensibles à la diffusion de normes et de modèles. Voir Sayad A., L’immigration ou les paradoxes de l’altérité ; la fabrication des identités culturelles, Paris, Raisons d’Agir, 2014. Enfin sur l’identité, Sayad développe la thèse que la domination coloniale a un impact sur les histoires personnelles. Voir Sayad A., La double absence, des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Seuil, 1999.

[11] La culture reste celle des œuvres attribuées aux artistes consacrés, travaillant à partir des canons et normes nées d’exigences définies par des prédécesseurs. Cette culture classique savante, qui est tout autant un « arbitraire culturel » comme le disaient Pierre Bourdieu et Jean Claude Passeron qu’une autre, ne devient légitime que quand elle reçoit l’approbation d’instances consacrées et « consacrantes » comme peuvent l’être des institutions d’État : l’Académie française, la Sorbonne, les principaux musées dont Le Louvre pour le classicisme ou Beaubourg pour la modernité, etc. Comme les membres des classes dominantes contrôlent, dirigent ou utilisent ces institutions, qu’il n’y a de culture légitime que celle des classes dominantes. Dès lors les idées et les sentiments de la classe dominante, transformées par la création artistique ou littéraire, deviennent la culture authentique qu’il est légitime d’imposer.

 

[12] L’histoire de l’Institut National pour la formation des Adultes (INFA) créé a Nancy en est l’exemple le plus significatif. Cet Institut devait mener des recherches sur la pédagogie et mettre en place une sorte d’École normale des formateurs d’adultes. L’idée d’une éducation permanente organisée par l’Éducation nationale et ouverte à toutes celles et à tous ceux qui souhaiteraient, à un moment de leur vie, compléter, leurs connaissances ou en acquérir de nouvelles, qu’elles soient en rapport ou non avec des exigences professionnelles soutenait cette création. Mais le Centre National du Patronat Français (CNPF) ne voulait ni d’un prélèvement de la taxe par l’État ni d’une éducation permanente organisée par l’Éducation Nationale qui, à ses yeux, ignorait les « besoins des entreprises ». A peine né, l’Institut national était donc condamné et l’Éducation nationale serait, en grande partie, exclue des dispositifs tant qu’elle ne se plierait pas aux exigences des industriels.

[13] Lesne M., Montlibert Ch.de, Formation et analyse sociologique du travail ; essai sur l’analyse qualitative des situations de travail, Paris, 1972, La documentation française, 147 p.

[14] Guex S., « La politique des caisses vides », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 2003, n°146-147.

[15] La gazette des communes. 

[16] On comprend que soutenir les sports ou, mais de manière moindre, les évènements culturels importent plus pour des entreprises mécènes et les particuliers qui peuvent défiscaliser leurs dons que soutenir des associations d’animation et d’éducation populaire

[17] Laville J-L., Salmon A., Les associations et leur contribution à la démocratie : un défi contemporain, Les politiques sociales, 2017, n° 3-4, pp. 14-25.

[18] Gervais J., Lemercier Cl., Pelletier W., La valeur du service public, Paris, 2021, Éditions La Découverte.

[19] Cottin-Marx S., Hély M., Jeannot G., Simonnet M., La recomposition des relations entre l’État et les associations : désengagements et réengagements, Revue française d'administration publique, pp. 463-476.

[20] Broguière P., France culture ; la destruction programmée d‘une université populaire, Paris, Éditions Delga, 2007

[21] Durkheim Émile, L’évolution pédagogique en France, Paris, Félix Alcan, 1938. Préface de Maurice Halbwachs.

[22] Fritsch Philippe, L’éducation des adultes, Paris, Mouton, 1971

[23] Coutrot Laurence, « Archéologie des logiques de compétences », Année sociologique, 2005, vol.55, n°1, p. 197-230. Laurence Coutrot rappelle que dans les années 1990 les grilles de classification classiques de type Parodi sont remplacées par des grilles « à critères classants » qui évaluent certaines « caractéristiques comportementales » de l’individu.

[24] Tanguy Lucie, « De l’éducation à la formation. Quelles réformes ? », Éducation et société, 2005, n° 16, p. 99-122.

[25]Leclercq Emmanuelle, « Regards critiques sur les réalités de la logique compétence », in Bastien Clément, Borja Simon, Naegel David, Le raisonnement sociologique à l’ouvrage. Théorie et pratiques autour de Christian de Montlibert, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 285-298.

[26] De la formation continue à l’école maternelle, du lycée à l’université, de l’entreprise à la société de recrutement de salariés, des directives des ministères français de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur aux instances les plus institutionnalisées de la Commission européenne, la notion de compétences acquises par modules dont la combinaison est individualisée, est la notion centrale qui commande l’organisation des enseignements et la pédagogie qui y est employée . Dans les textes de la Commission européenne, les « savoirs » deviennent des « connaissances », les « savoir-faire » des « compétences opérationnelles » et le « savoir-être » une « compétence comportementale ». Le contenu des modules n’est plus défini par référence à un savoir universaliste mais par rapport aux exigences des emplois et repose sur une évaluation définie en termes « de capacité de ou à » faire, savoir, s’adapter. Ainsi, dès 1992, était publiée une Charte des programmes qui mettait au centre des apprentissages de l’élève les compétences « Le programme ne doit pas être un empilement de connaissances, incompatible par son ampleur avec les capacités d’assimilation des élèves. Il doit, à chaque niveau, faire la liste des compétences visées et des savoirs et savoir-faire qu’elles impliquent ». « L’évaluation porte sur le niveau de compétence visé, en donnant une liste des tâches que les élèves devront être capables d’accomplir ».En 2007 seront mis en place dans l’enseignement primaire d’abord « les livrets de compétences ». Les chartes des programmes publiées ultérieurement, en 2018 par exemple, ne feront qu’affiner ces principes généraux. L’adaptation aux exigences des postes de travail, avait été introduite dès la loi d’orientation de 1989 qui prescrit que ce n’est plus une finalité émancipatrice et universaliste qui détermine le contenu des programmes mais les exigences de l’emploi. Dans les voies technologiques et professionnelles d’abord, puis dans l’ensemble du système, et tout particulièrement dans l’enseignement supérieur, les « référentiels de formation » définis à partir d’un « référentiel d’emploi » dictent l’organisation des contenus. En somme, organiser non seulement les esprits mais aussi fabriquer des corps bien conditionnés à la nouvelle organisation de la division du travail est devenu un objectif des réformes éducatives.

 

[27] Lesne M., Montlibert Ch.de, Formation et analyse sociologique du travail ; essai sur l’analyse qualitative des situations de travail, Op.cit.

[28] Source, Sécurité sociale.

[29] Source DARES, citée in Vatan A., La situation de la classe laborieuse en France, Paris, Éditions Delga, 2022.

[30] Montlibert C.de, La violence du chômage, Strasbourg, PUS,

[31] Montlibert C.de, Surmortalité en quartiers populaires, des quartiers ouvriers aux quartiers populaires : un effet des rapports de classe, Savoir/Agir, 2020/2, n° 52, pp.151-159.

[32] Hugrée C., Poullaouec T., L’Université qui vient. Un nouveau régime de sélection scolaire, Paris, Raisons d’Agir Éditions, 2022.

[33] Montlibert C. de, Pagès R., Compte rendu de « Attitude organization and change. An analysis of consistency among attitude components”. by Rosenberg M.J., Hovland C.I., McGuire W., J., Abelson R., P., Brehm J., W., New Haven, Yale University Press, 1960 ; Revue française de sociologie, 1961, 2, n° 4, pp. 333-334.

[34] Lasch C., Les femmes et la vie ordinaire ; amour, mariage et féminisme, Paris, Climats, Editions Flammarion, 2006, traduction de l’anglais (américain) de Christophe Rosson, présentation de Elisabeth Lash-Quinn.

[35] « Même si une littérature de soin, d’empathie ou de miséricorde qui répare les injustices, enterre des morts, suture des lésions dans le tissu social, panse des plaies mémorielles »  est publiée  Florent Coste  constate que « loin d’être d’emblée un outil de débrayage des ressorts du capitalisme, la littérature ne saurait rien faire d’autre que d’accompagner docilement le mouvement initié par l’économie. »  Coste Fl., L’ordinaire de la littérature. Que peut (encore) la théorie littéraire ? Paris, La Fabrique éditions, 2024, 184 p.

[36] Bourdieu P., Pouvoir symbolique et champ politique, IN Bourdieu P., Langage et pouvoir symbolique, Paris, Fayard, 2001, 423 p., PP.201-323.

[37] Boudjemaï Y., Nos associations ne sont pas des entreprises, Le Pont des Associations. Uriopss Nord Pas- de- Calais, n° 350, décembre 2014 ?

[38] Simonet M., le monde associatif entre travail et engagement, in Alter N., (dir.) Sociologie du monde du travail, Paris, P.U.F., 2012

[39]Bourdieu P., Interventions, 1961-2001. Science sociale & action politique, Marseille, Agone, 2002.

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