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Qui inspira la réforme macronienne des services publics ?

Par elle seule, la composition de cette Commission chargée d’élaborer la dernière en date des lois de « modernisation », vaut programme : les ministères d’E. Macron ont demandé à un aéropage de patrons du privé de « moderniser » les services publics.


Le Comité action publique 2022 ( CAP 22 ) est un groupe composé de quarante personnalités mêlant économistes, cadres du secteur public et privé, élus, et chargé en octobre 2017 par le premier ministre E. Philippe de réfléchir à une réforme des missions de Service Public de l'État associée à une réduction des dépenses publiques. Son travail déboucha sur la Loi de Transformation de la Fonction Publique de 2019.


Les questions à poser pour comprendre la réorganisation libérale de l’action publique – sont : qui fait ? qui ? Quelle histoire sociale incarnée en des individus, quelles formations, quel recrutement, quel univers de relations les ont construits ?


Impossible de s’expliquer ce qu’ils font sans saisir d’où ils viennent, de quel groupe social, quel parcours dans ce groupe social, et quels sont leur univers de référence, celui d’où sort ce qu’ils estiment évident, incontournable, naturel, sens commun – sens commun de leur groupe social.


Nul ne s’étonnera alors, à analyser sa composition, que la commission ait communier sans distance dans cette croyance promue dogme : ce sont les règles managériales du privé qui doivent structurer le travail dans les services publics, lesquels sont d’abord vus comme zone de gabegie. Il s’agit donc de réduire leurs coûts, ce qui passe par l’externalisation des tâches vers des entreprises privées ou des concessions de service public. Et, dans le périmètre maintenu des fonctions publiques, « dégraisser le mammouth » : casser le statut des fonctionnaires, liquider les contrats aidés, embaucher des « agents temporaires », ne pas remplacer les départs en retraite, restreindre les recrutements, contrôler plus étroitement, caporaliser les agents en intensifiant leur travail. Toute la refonte proposée de la fonction publique se comprend sitôt examiné qui composa cette commission.


Le Comité Action publique 2022, ce fut CAP sur le privé !


Cette commission, en effet, n’inclut aucun salarié des services publics travaillant à un rang intermédiaire ou comme personnel d’exécution. Et aucun syndicaliste. Les seuls fonctionnaires admis sont situés en haut de l’échelle hiérarchique. La commission n’en compte que 13 parmi ses 43 membres. En revanche, avec un effet de masse jamais vu , y furent nommés des dirigeants de groupes privés ou de fonds d’investissement, ignorants du fonctionnement local des services publics mais rompus, avec excellence professionnelle, aux codes, aux critères de performance et aux pratiques des directions d’entreprise ou du consulting :


Ross Mc Innes, président de Safran, géant de la défense et l’aéronautique ; Véronique Bedague-Hamilius, P-DG de Nexity Immobilier ; Guillaume Hannezo, passé de Vivendi à la banque Rothschild et au fonds financier WeShareBonds ; Mathilde Lemoine, ancienne de la banque HSBC passée chef économiste chez Rothschild ; Jean-François Cirelli, ex-directeur générale GDF-Suez, qui préside en France le fonds de placement BlackRock ; Stéphane Brimont, président du fonds financier Macquarie ; Marc Tessier, de chez Havas, Canal +, France TV puis NetGeM (télévision via Internet); Philippe Josse, d’Air France KLM ; Stéphanie Goujon, vice-présidente du Mouvement des entrepreneurs sociaux ; Jean-René Cazeneuve, d’abord chez Apple, puis Bouygues Telecom ; Philippe Laurent, de la direction financière de Renault ; Paul Duan, start-upper dans la Silicon Valley ; Ludovic Le Moan, ESN Coframi (société d’informatique) et aujourd’hui Sigfox (opérateur de télécommunications) ; Frédéric Mion, ex-directeur de Sciences Po, mais aussi ancien du groupe Canal + et ex-avocat d’affaires au cabinet Allen et Overy ; Thomas London, directeur associé de la société de conseil* McKinsey, responsable des activités Santé et Secteur public ; Axel Dauchez, ex-président de Publicis France, qui vient de lancer la start-up de civic tech Make.org ; Jean-Baptiste Fauroux, ex-directeur général de Steelcase Strafor (spécialisée dans l’aménagement des espaces de travail) à Bruxelles ; Guillaume Marchand, qui se présente comme psychiatre, entrepreneur, investisseur et ancien président d’une fédération de start-ups de la « e-santé ».


On a donc là des patrons ou évangélistes du marché, patron et évangélistes internationalisés, ignorant tout des services publics mais rompus, avec excellence professionnelle, à la maitrise pratique des directions d’entreprise ou du consulting. Dès lors, on saisit mieux certaines dimensions du « prêt-à-penser » qu’ils partagent et qui orientent leurs activités: importation des recettes d’entreprises pour « tout moderniser », intensification du travail, évaluation des performances liée à des objectifs individuels chiffrés, compressions des salaires, externalisation vers le privé (autant d’ « améliorations » à l’œuvre, notamment, dans les directives qui préfigurent la remise en cause des métiers des fonctionnaires…) ; ode à la mobilité forcée (réformes de l’assurance-chômage et du code du travail) ; accroissement des contrôles (réforme de l’assurance-chômage, entre autres…) ; ajustements des services rendus par le public aux besoins immédiats des entreprises et de leurs bassins d’emplois. Les exemples abondent, qui montrent l’État, pour une part, devenant entreprise au service des entreprises ; l’État et ses services les plus divers, « managerialement » reconfigurés.


Tous ont, avec brio, triomphé du cursus honorum des enfants (les plus prometteurs) de la classe dominante : Sciences Po et l’ENA new style, changés en Business schools (comme d’ailleurs Polytechnique en partie), conjugués avec HEC, l’ESSEC ou des Business schools anglo-saxonnes.


L’intériorisation des lois et vertus des entreprises libérées dans un marché lui-même libéré et mondialisé, fut pour chacune et chacun, totale, immédiate, « l’air qu’on respire », sans réserve, et vecteurs de leurs réussites.


Ne caricaturons pas, certains de la commission viennent du public. Mais soit ils en sont sortis pour s’en « libérer » soit ils y ont travaillé d’abord pour conformer le public au besoin du privé. Premier cas, quelques cas : Bedague-Hamilius, secrétaire générale de la ville de Paris, directrice de cabinet de Valls à Matignon parti à Nexity ; Josse, directeur du Budget sous Copé, parti à KLM ; Lemoine, conseillère à Matignon sous Villepin, parti à HSBC puis Rothschild…Second cas : Josse toujours, architecte de la RGPP ; Bigorgne, de Science Po mais propulsé directeur de l’Institut Montaigne par Claude Bébéar d’Axa ; Clotilde Valter, PS, secrétaire d’État, mais rapporteure du projet de loi Macron, première main de l’accord Arcelor-Mittal, de la fermeture de Goodyear d’Amiens. Pisani-Ferry, président du comité de suivi du CICE, etc…


Notons-le, aucun personnel d’exécution ou de rang intermédiaire ou de direction des services publics ne siège dans cette commission.


Ce groupe ne constitue pas un « groupe sur le papier ». Il s’agit d’un groupe mobilisé. Un groupe coopté et soudé à partir de l’harmonie immédiate des dispositions de ses membres, et qui s’affermit au travers de style de vie et de fréquentations semblables. Ils sont forts de formations homologues et des connivences spontanées qui les accompagnent. Ils sont forts de parcours homologues et virtuoses souvent. Ils sont forts d’un « sens commun » sans fissures et identique, forts d’un système d’évidences et de présupposés partagés, qui organise leur vision du monde et de ses divisions. Forts de se sentir héritiers légitimes. Un groupe, fusionnel, endogame quant aux origines sociales, assuré de lui-même, et d’une certitude de soi sans cesse renforcée : au gré des réussites scolaires éclatantes, au gré des circulations réussies entre public et privé, puis des réussites d’entreprises. A tel point qu’ils en deviennent audacieusement libérés dans le calendrier et les contenus des réformes libérales qu’ils accumulent. Comme aucune autre Noblesse d’État n’avait osé avant eux (même sous Sarkozy, qui rétrospectivement apparaitra modéré). Car rien, jamais, dans leurs parcours ne les a arrêtés. Ils sont le « nouveau monde » sans frontières ni échecs, qu’un réseau serré de protections, de solidarités extérieures à l’État et d’échanges légitimants perpétuels avec des secteurs patronaux et médiatiques puissants encouragent et perpétuellement célèbrent. Pourquoi concevraient-ils qu’il faille stopper le job ? Quand ce job est au principe de leur position qui en impose, porteuse d’une image flatteuse d’eux-mêmes. Un groupe, spontanément prompt à ériger en « devoir-être » universel, les vertus dont ses membres ont socialement hérités : la « mobilité », la « créativité », « entreprendre », « se réaliser », la « liberté », le « boulot », « l’investissement », la « discipline »….bref, leur art de vivre promu exemple. Et c’est pourquoi d’ailleurs, ils ne peuvent comprendre qu’en recourant à l’idée d’une sombre fainéantise, que tous les salariés ne tirent pas bénéfices du monde tel qu’il va. Ils ne connaissent, ne croisent et n’ont jamais croisé, directement ou familialement, aucun ouvrier, aucun employé, aucun technicien, aucun précaire, aucun chômeur, aucun cadre moyen même. Ils ne savent d’expérience aucune de leurs urgences, aucune des insécurités affrontées, des mépris subis, des galères de logements, des incertitudes scolaires ou à Pôle Emploi, des concurrences dans et pour l’emploi ou pour les stages en milieux populaires. Le montant du RSA se dépense lors d’un dîner intime entre amis, pour acheter une paire de chaussures ou des boutons de manchette.


Ces champions des champions de la classe dominante sont, depuis l’enfance, emmurés dans l’univers cossu et clos qui les a faits et où ils ont vaincu (car on minore trop les luttes féroces à l’intérieur des groupes dominants).


Endogamie, oui. Juste quelques exemples.


Revel ? Binôme de Macron à l’Élysée sous Hollande, Macron avait voulu l’imposer dircab de Philippe à Matignon.


Mion ? Patron d’Edith Chabre, femme d’Edouard Philippe et parrain d’un de leurs enfants. Aghion ? Commission Attali avec Lemoine et Macron, Aghion qui déclare « à l’époque avec Macron, on passait notre vie ensemble ». Rothschild ? Lemoine, Hannezo y sont ou y sont passés. Financière Macquarie ? Mc Innes, Brimont. Filière Science-Po mondialisée et convertie en Business School sous Richard Descoings, son protégé, Bigorgne, directeur de l’Institut Montaigne, Mion directeur de Science Po, Letta ex premier ministre italien recruté à Science Po par Mion, Pisani-Ferry candidat malheureux contre Mion à la direction de Science Po et avec qui il se réconcilie vite. Entre autres… Sans parler des conjoints eux-mêmes PDG d’un certain nombre des membres de la commission.


Pour piloter ce programme de « modernisation » de la fonction publique fut installée, en novembre 2017, la Direction interministérielle à la transformation publique (DITP). Avec, placé à sa tête, les deux premières années, Thomas Cazenave (Sciences Po Paris, ENA), inspecteur des finances* passé, à 33 ns, directeur délégué des « ressources humaines » d’Orange France, avant de revenir dans l’État, directeur adjoint du cabinet d’Emmanuel Macron au ministère de l’Économie, puis secrétaire général adjoint de l’Élysée. On lui doit le livre-manifeste L’État en mode start-up, préfacé par E. Macron. Le chapitre sur les « réformes à l’étranger » est écrit par Karim Tadjeddine, un polytechnicien issu du corps des Ponts, passé par le ministère des Finances avant d’être débauché par le cabinet de conseil McKinsey. Il y codirige le département qui s’occupe de « moderniser » les services publics, pour le compte de la DITP.

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