Par Christiane Marty, membre de la Fondation Copernic / journal Le Monde – janvier 2023
Le ministre du travail, Olivier Dussopt, a assuré, le 30 novembre 2022 sur France 2, qu’un objectif « absolument majeur »de la réforme de retraites était d’« améliorer notre système, parce qu’il est injuste ». A sa suite, la première ministre, Elisabeth Borne, a déclaré à plusieurs reprises que pour que la réforme soit juste pour les femmes, l’âge d’annulation de la décote resterait à 67 ans !
On garderait donc la décote, qui est un abattement très injuste pour les carrières incomplètes et qui pèse par conséquent plus sur les femmes. Elle a été qualifiée en 2019 de « double pénalisation » par le haut-commissaire aux retraites, Jean-Paul Delevoye. Où est donc le progrès ? L’injustice majeure que constitue l’importante inégalité de pension entre les femmes et les hommes non seulement n’est aucunement prise en compte, mais risque fort d’augmenter avec le recul de l’âge de la retraite comme avec un allongement de la durée de cotisation.
Rappelons la situation. Si les salaires des femmes sont inférieurs en moyenne de 22 % à ceux des hommes (Insee 2022), leurs pensions de droit direct sont inférieures de 40 % à celles des hommes. Ce chiffre est encore de 30 % pour les nouveaux retraités partis en 2020, selon la direction de la recherche du ministère du travail.
La retraite amplifie donc encore les inégalités de salaires. Lorsque nos dirigeants sont interpellés sur ces inégalités de pensions, la réponse classique est qu’elles se réduisent au fil du temps. En réalité, elles stagnent, comme stagnent les inégalités de salaires.
La baisse en cours du niveau des pensions par rapport aux salaires, conséquence des réformes précédentes, atteint bien sûr de manière plus grave les plus faibles pensions des femmes : le taux de pauvreté des femmes retraitées est ainsi sensiblement plus élevé que celui des hommes (10,4 % contre 8,5 %), et cet écart a tendance à se creuser depuis 2012, comme le relève le rapport 2022 du Conseil d’orientation des retraites (COR). Le passage, en 1993, à une indexation des pensions sur l’inflation et non plus sur le salaire moyen a entraîné, en période de faible inflation, un décrochage croissant des retraites. Les femmes âgées sont les plus touchées.
Inégalités aggravées
Le COR note que le taux de pauvreté des retraités augmente depuis 2016 pour les personnes âgées de plus de 65 ans qui vivent seules ; parmi elles, ce taux atteint même 16,5 % pour les femmes. L’annonce d’un minimum de pension à 85 % du smic pour une carrière complète est évidemment bienvenue… mais il était déjà prévu dans la loi de 2003 et n’a jamais été appliqué ! Surtout, ce minimum ne concernera pas les personnes déjà à la retraite.
Même si les carrières des femmes s’allongent au fil des générations – du fait surtout de la montée en charge de l’assurance-vieillesse des parents au foyer –, elles restent plus courtes que celles des hommes, de 2,1 ans pour la génération 1950. Il est donc plus difficile pour elles d’atteindre la durée de carrière exigée. Elles subissent alors la décote.
Pour cette génération 1950, la décote a ainsi concerné 8 % des femmes contre 6 % des hommes, et avec un effet plus important pour elles. Pour éviter de la subir, 19 % des femmes, contre 10 % des hommes, ont dû attendre l’âge du taux plein (67 ans aujourd’hui) pour partir à la retraite. Tout nouvel allongement de la durée de cotisation ne ferait qu’aggraver ces inégalités.
De même, tout recul de l’âge légal de départ signifiera une prolongation de la situation précaire que vivent de nombreuses personnes – parmi elles, une majorité de femmes – entre la fin de l’emploi et la liquidation de la retraite. Une proportion sensible de personnes passe en effet par des périodes de chômage ou d’inactivité entre leur sortie du marché du travail et leur départ à la retraite. Ainsi, 37 % des femmes de la génération née en 1950 et 28 % des hommes n’étaient plus en emploi l’année précédant leur retraite : environ la moitié d’entre eux étaient au chômage, en inactivité, en maladie ou en invalidité.
Pénibilité « occultée »
La retraite est souvent vue comme une délivrance, du fait de conditions de travail difficiles et de la pénibilité, qui reste très mal prise en compte aujourd’hui. Elisabeth Borne a annoncé vouloir permettre aux « personnes cassées par le travail » de partir plus tôt. Déclaration très vague… et en décalage avec ce qui a été fait précédemment : en 2017, le président Macron a supprimé quatre des dix critères pris en compte auparavant, précisément ceux qui concernaient de fait le plus de personnes.
En attendant une nécessaire amélioration des conditions de travail, la pénibilité doit être mieux reconnue au niveau de la retraite, sans oublier celle qui caractérise les métiers féminins : or celle-ci est « largement occultée », comme l’a établi notamment le Conseil économique, social et environnemental.
Alors que les inégalités de pensions entre les sexes sont dues aux inégalités de salaires et aux interruptions de carrière des femmes pour prendre en charge les enfants du fait de l’insuffisance des modes d’accueil, l’instauration, en 2019, d’un « index de l’égalité » s’est révélée très insuffisante pour améliorer l’égalité salariale, et rien n’est réellement fait pour permettre aux femmes de rester en emploi à l’arrivée d’un enfant.
Le taux d’activité des femmes reste ainsi très inférieur à celui des hommes, entraînant des pensions plus faibles pour elles, mais privant aussi les caisses de retraite de recettes de cotisations. Pour mieux financer les retraites, le gouvernement se focalise sur l’augmentation du taux d’emploi des seniors, déplorant un taux plus faible que dans les autres pays. Il semble lui échapper que le taux d’emploi des femmes place la France au 25e rang des 38 pays de l’OCDE, et qu’il y aurait là de forts progrès potentiels !
Présenter la réforme comme juste pour les femmes relève du boniment. La vérité est que les mesures prévues à ce jour aggraveront la situation des femmes, et que rien de ce qui permettrait de l’améliorer n’est prévu.
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