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Parole de prof': la réforme du Bac, la grande désorganisation




Présenté comme le « père » de la réforme Blanquer de 2019, Pierre Mathiot défend le nouveau calendrier du Baccalauréat. Des éléments de réponse, en tant que citoyenne, militante syndicale et accessoirement membre de l’Education nationale. Les familles et les élèves s’y perdent, les professeur.es tout autant Chaque année, les écrits de Spécialité du Baccalauréat en mars n’impactent pas uniquement les terminales, mais également les autres niveaux - les secondes et les premières - et ainsi toute la structure d’un établissement. Les lycées sont souvent fermés un jour ou deux avant les épreuves, et libèrent les terminales le jour suivant ; par ailleurs les enseignant-es correcteurs bénéficient de demi-journées pour se concentrer uniquement sur les copies du bac. Entre les jours de préparation des salles et de révision accordés, les jours de l’épreuve où les salles sont exploitées pour ces écrits, et les temps de correction, les enseignement-es sont complètement désorganisé-es pendant au moins deux semaines. Les familles et les élèves s’y perdent, les professeur-es tout autant. Ces dernier-es ont quitté leurs terminales mi-mars, et les ont retrouvés début avril : quinze jours de cours en moins ; pour les secondes et les premières, jusqu’à dix jours sans les voir, soit de nombreuses heures de cours perdues. Vous parlez à juste titre de limiter les effets sur les premières et les secondes, mais comment imaginer que des épreuves placées dans une année scolaire inachevée peuvent ne pas bouleverser toute une organisation au sein d’un établissement scolaire ? Comme solution, vous mentionnez la possibilité d’organiser les épreuves dans les gymnases, et d’emmener les autres niveaux non concernés par les épreuves à des visites à l’Université par exemple… Mais la réalité ne permet pas toujours cette alternative : tous les établissements n’ont pas de gymnase et/ou d’Université à proximité ; par ailleurs, la quasi-totalité des enseignant-es sont convoqué-es pour la surveillance, donc très peu sont effectivement libres pour réaliser de telles sorties (au demeurant intéressantes). Vous évoquez comme possibilité, fondée sur l’exemple de Science Po Lille, de solliciter les enseignant-es retraité-es pour pallier ce manque de personnel : il semble très peu probable qu’un tel scénario soit généralisable dans le secondaire, avec des professeur-es motivé-es à l’idée de revenir dans leur ancien établissement pour accompagner ponctuellement des élèves qu’ils ne connaissent pas, et réciproquement… surtout dans le contexte actuel. Sous pression(s) En outre, un constat s’impose déjà : ces épreuves en mars incitent les élèves à l’absentéisme. Beaucoup sont sous pression à l’approche du mois de mars, et s’absentent, en commençant parfois dix jours avant les épreuves. Si le programme pour ces épreuves n’est pas complètement terminé, ils et elles récupèrent le cours par les autres élèves mais n’ont pas le bénéfice d’un vrai cours pour leur compréhension. Si le programme est bouclé et qu’il s’agit de cours de révisions ou de renforcement des méthodes, ils et elles n’en profitent pas non plus. Fait aggravant, cet absentéisme semble davantage concerner les élèves fragiles scolairement, pensant « récupérer » leurs lacunes sur un effort intense de quelques jours… ce qui renforce évidemment leur écart de maîtrise des Spécialités avec ceux et celles qui continuent à travailler les méthodes, et ont accès à leurs professeur.es sur la dernière ligne droite. Hélas, cet absentéisme perdure après les écrits : beaucoup d’élèves se sentent -et quelque part, après toute cette pression sur six mois, on peut comprendre- en « vacances », et reviennent de façon intermittente[1]. Les enseignant-es constatent cette tendance, le déplorent, cherchent des solutions avec leur administration. Des rappels à l’ordre sont mis en place… ce qui semble en partie fonctionner, néanmoins la dynamique en classe a profondément changé. Après les vacances de printemps, les enseignant-es ont retrouvé leurs terminales : au-delà de la déception de certain-es concernant les notes aux épreuves de Spécialité qu’ils et elles viennent de recevoir -ou pour d’autres leur grande satisfaction- un très grand relâchement se fait sentir, et il reste pourtant une partie non négligeable du programme à terminer. Evidemment les professeur-es se sont adapté-es et ont orienté leurs cours vers la préparation du Grand Oral, pour accompagner les élèves et les remobiliser. Mais comment ne pas comprendre ce relâchement et l’inquiétude enseignante quant aux deux mois et demi restants en termes d’ambiance de travail ? Vous évoquez un « problème de société » concernant cette montée de l’absentéisme, que vous interprétez comme le résultat, après les écrits, de la diminution de la pression par la note exercée sur les élèves. Soit, il y a sans doute pour beaucoup de vrai dans cette lecture, mais n’est-ce pas complètement ironique de mettre en place cette réforme qui ne se justifie, en termes de calendrier, que pour Parcoursup, qui incarne plus que parfaitement la sélection scolaire ? Pire encore, certain-es enseignant-es font face à des demandes de leurs élèves de relire leur copie de Bac en Spécialité : leur note les laisse dans l’incompréhension, ils et elles tentent donc d’obtenir des réponses auprès de leurs professeur-es … qui se retrouvent ainsi à gérer leur frustration, parfois leur propre déception pour leurs élèves, mais également une position impossible à tenir, tout en devant mener à bien leur programme. Sans oublier les erreurs qui ont été relevées dans la saisie des notes, avec des familles qui ont appris que Parcoursup n’était pas en capacité de modifier cette remontée des notes en cas d’erreur. Cela oblige donc les élèves et leurs familles à contacter les universités, les écoles désirées pour les prévenir de cette erreur de Parcoursup… ! La lecture de vos propos donne l’impression que vous pensez que les profs sont simplement quelque peu résistants face au changement, -un grand classique pour ceux et celles qui ne connaissent que peu ce métier- qu’il leur suffit d’« assumer » leur rôle d’évaluateur, et de « passeur vers le supérieur ». C’est là où il y a sans doute le plus grand décalage entre votre représentation du rôle des enseignant-es et celle des principaux concernés, car – et beaucoup se reconnaîtront là-dedans- l’investissement professionnel des professeur-es n’est pas réalisé uniquement à travers l’enjeu de l’orientation/sélection de leurs élèves. Loin de là. Certes, les enseignant-es sont des passeurs, mais certainement pas uniquement « vers le supérieur » : plutôt des « passeurs culturels » pour reprendre l’expression de Stéphane Beaud[2]. Anne-Sophie Decroes [1] S’il n’y a pas encore de chiffres officiels, les élèves et enseignant.es décrivent des groupes en classe diminués de 15 à 25% suite aux épreuves. [2] « Les trois sœurs et le sociologue. Notes ethnographiques sur la mobilité sociale dans une fratrie d’enfants d’immigrés algériens », Idées économiques et sociales, 2014.

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